Selon les dernières données de l’Institut national de la statistique (INS), publiées en mai, plus de 800 000 logements restent invendus à travers le pays. Un chiffre inédit qui met en lumière les failles structurelles du secteur et soulève de vives inquiétudes sur ses répercussions potentielles sur l’ensemble de l’économie nationale.
Ce volume alarmant de biens invendus représente un danger pour la viabilité des entreprises de promotion immobilière. En l’absence de ventes, de nombreux promoteurs peinent à rembourser leurs emprunts ou à financer de nouveaux projets. Plusieurs acteurs du secteur préviennent que si aucune mesure n’est prise dans les plus brefs délais, de nombreux chantiers en cours pourraient être gelés, voire abandonnés, aggravant ainsi une crise déjà bien installée.
« Le secteur est à bout de souffle », confie un promoteur opérant dans la banlieue de Tunis. « La demande est en berne, les charges explosent, et les banques deviennent frileuses. C’est un cercle vicieux. »
Malgré quelques initiatives gouvernementales ponctuelles, la situation financière de nombreux opérateurs s’est fortement dégradée au cours des derniers mois. La flambée des prix des matériaux de construction, la fiscalité toujours plus lourde, ainsi que la hausse des taux d’intérêt imposée par la Banque centrale pour contenir l’inflation, ont mis à rude épreuve les trésoreries des promoteurs. Beaucoup se retrouvent à court de liquidités, incapables de finaliser les projets ou de proposer des prix attractifs.
Du côté des acquéreurs, la situation n’est guère meilleure. L’inflation galopante a lourdement pesé sur le pouvoir d’achat des ménages tunisiens. En parallèle, la TVA sur les logements neufs est passée de 13 % à 19 %, rendant l’accession à la propriété encore plus difficile, en particulier pour les classes moyennes. Pour de nombreux Tunisiens, devenir propriétaire est devenu un rêve hors de portée.
« Il existe aujourd’hui un déséquilibre profond entre l’offre et la demande », explique un analyste du secteur immobilier. « Les prix restent élevés alors que le pouvoir d’achat des familles baisse constamment. Le marché est figé. »
Face à cette impasse, plusieurs pistes de réforme sont à l’étude. Parmi les options envisagées : la révision des pénalités de retard pour les chantiers, la réduction des taxes immobilières, l’extension des délais de remboursement des crédits bancaires, ou encore la suppression de certaines obligations imposées aux promoteurs, notamment celle de l’autofinancement d’une partie des projets.
Une autre solution fait également son chemin : la location avec option d’achat. Ce modèle, déjà expérimenté dans plusieurs pays européens, permettrait aux ménages de louer un bien avec la possibilité de l’acheter après quelques années, en déduisant une partie des loyers versés du prix final. Cette approche pourrait constituer une alternative intéressante dans le contexte actuel, en facilitant l’accession progressive à la propriété. La Chambre nationale des promoteurs immobiliers soutient activement un projet pilote en ce sens.
Certains experts appellent aussi à une refonte plus globale de la politique de logement en Tunisie, avec un recentrage sur les besoins réels de la population et une meilleure coordination entre les acteurs publics et privés. Des incitations ciblées à destination des primo-accédants ou des jeunes couples pourraient également redynamiser le marché.
Pour les observateurs, une chose est claire : le statu quo n’est plus tenable. Avec un stock record de logements invendus, le risque d’un effondrement progressif du marché devient de plus en plus réel. Et avec lui, une perte de dynamisme pour un secteur qui représente historiquement un levier important de croissance, d’emploi et d’investissement en Tunisie.